Le patron de PSA contre la "pensée unique" de l'empreinte carbone - 12/11/2019

Daniel Schneidermann

« Parfois surgissent des appels à l’insurrection où on ne les attendrait pas. “Jusqu’à quand les citoyens européens se laisseront-ils dicter par la pensée unique ce qui est bien ou mal ?” s’insurge aujourd’hui un lanceur d’alerte. Il se nomme Carlos Tavares. Il est PDG du groupe automobile français PSA. Et c’est devant des journalistes spécialisés automobile, au salon de Francfort, qu’il lance ce cri, rapporté par Challenges. Quelle “pensée unique” fustige-t-il ? “En matière d’empreinte carbone” précise Challenges. Quand il parle de “pensée unique”, Tavares évoque donc toutes ces histoires de changement climatique. A force de diaboliser le transport automobile sous prétexte d’émissions de CO2, le risque, souligne Tavares, est “de ne plus pouvoir passer ses vacances au-delà d’un rayon de cent kilomètres.” Et d’insister : l’ “ensemble des modes de vie vont être impactés. Ca a commencé par l’automobile, maintenant ça touche l’aérien. Et ça va continuer avec l’empreinte carbone sur les divers produits, les aliments, les loisirs.”

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Il faut remercier Tavares de sa franchise, et Challenges de rapporter ses propos. A force de voir, jour après jour, tout le CAC 40 disputer une compétition de green washing, on pourrait finir par y croire. Il est pourtant vraisemblable que l’inconscient des dirigeants industriels occidentaux est plus proche du climato-scepticisme d’un Tavares, que de toutes les risettes Greta-compatibles auxquelles les contraignent leurs chargés de com’. Assez de pensée unique ! Assez “d’écologie punitive” ! Vive notre Liberté sacrée de Consommer !

Hasard des choses, je découvre en ce moment un livre publié en France en 1997, “Ishmael”, de Daniel Quinn (réédité en 2018 par les Editions LIBRE)*. Sous forme d’un distrayant dialogue socratique entre un homme et un gorille, Ishmael raconte la guerre sans merci que livre, depuis l’invention de l’agriculture voici une dizaine de milliers d’années, une espèce humaine prédatrice -“Ceux qui prennent”, dit Quinn- à toutes les autres espèces vivantes -“ceux qui laissent”-, et à leur milieu naturel commun. Conclusion logique : ça va très mal finir. Sauf, ironise Quinn, à mener cette guerre jusqu’au bout. “Une seule chose peut nous sauver. Nous devons renforcer notre maitrise. Nous devons continuer dans cette voie jusqu’à ce que notre pouvoir devienne enfin absolu. Nous ouvrirons et fermerons les cieux aux pluies. Nous serons capables de faire produire un boisseau de blé à un centimètre carré de terre et nous transformerons en fermes les océans. La météo sera contrôlée : plus d’ouragans ni de tornades ni de sécheresses ni de gelées insupportables. Tous les processus de la vie sur cette planète se trouveront là où ils auraient toujours dû être, là où les Dieux l’avaient souhaité : entre nos mains”. Etc etc. C’est beau comme du Trump, s’interrogeant sur la possibilité de bombarder les ouragans en plein océan.

Je ne sais pas si Carlos Tavares rêve lui aussi de pouvoir bombarder les ouragans. Je ne sais pas s’il considère cette peinture de la destruction de la planète par l’espèce humaine comme une manifestation de “pensée unique”. Mais notre système de pensée est au moins autant tissé de convictions, que de liens, que nous établissons -ou pas : je ne suis pas certain que le patron de PSA fasse le lien entre ses bilans annuels, et l’action méthodique de “ceux qui prennent”. En réalité, je rêverais de lui présenter Ishmael, gorille socratique. »

* contenu entre parenthèse corrigé par Editions LIBRE pour ce post.

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