Pourquoi "Sex Education" n'est pas libérée des stéréotypes sexistes - 28/02/2019

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J’attendais avec impatience un contenu qui permette d’enseigner les bases d’une sexualité dénuée de violences et de discriminations. J’ai vite déchanté.

Alix Guy

Membre du conseil d'administration de Osez le féminisme !

Cela fait maintenant trois ans que j’ai rejoint le groupe d’Osez le Féminisme ! sur la libération des sexualités des femmes, ayant étudié moi même dans mon cursus universitaire, les représentations des relations femmes hommes dans les séries états-uniennes. J’attendais donc avec impatience un contenu qui permette enfin d’enseigner les bases d’une sexualité dénuée de violences et de discriminations, quand on connaît le manque terrible qui existe sur ce sujet.

En ce début d’année est sortie la nouvelle série Netflix, “Sex Education”, qui ne pouvait que difficilement passer inaperçue car annoncée à grands renforts de publicité. Le synopsis est présenté ainsi sur wikipedia: Maeve, jeune fille rebelle, seule et sans parents décide de créer un cabinet de sexologie dans son lycée avec l’aide d’un camarade de classe, Otis, fils de sexologue. Celui-ci aide alors des personnes à gérer leurs relations, alors qu’il est lui-même vierge.

Le pitch est simple, parler de sexualité de façon décomplexée, la réalisatrice, Laurie Nunn, souhaitait apporter une vision actuelle et progressiste de ces problématiques. Et c’est en tout cas l’éloge qui en a été faite dans des médias comme Numérama, Madmoizelle et sur les réseaux sociaux, précisant que la série serait “d’utilité publique”.

Et pour vous le dire honnêtement… je n’adhère pas du tout.

Cela fait maintenant trois ans que j’ai rejoint le groupe d’Osez le Féminisme ! sur la libération des sexualités des femmes, ayant étudié moi même dans mon cursus universitaire, les représentations des relations femmes hommes dans les séries états-uniennes. J’attendais donc avec impatience un contenu qui permette enfin d’enseigner les bases d’une sexualité dénuée de violences et de discriminations, quand on connaît le manque terrible qui existe sur ce sujet.

Je vais tenter de vous expliquer en quelques points (non exhaustifs) pourquoi j’ai vite déchanté.

Pas de représentation du corps des femmes


L’une des défaillances principales des cours de science et d’anatomie, voire d’éducation à la sexualité, est l’absence de représentation correcte de l’anatomie féminine, quand l’anatomie masculine est elle, connue et apprise à toutes et tous. Avec notre campagne Osez Le Clito ! nous nous sommes bien rendu compte que bon nombre de femmes ne connaissent ni la forme, ni le fonctionnement, ni la puissance de leur clitoris.

Cela crée un déséquilibre évident et surtout dangereux. Dans un couple où les deux protagonistes savent très bien comment fonctionne et ce qu’aime l’un mais pas du tout comment fonctionne et ce qu’aime l’autre. Le désir de la seconde personne risque ainsi de disparaître dans celui de la première. Pire encore, la première personne pourra prendre l’ascendant très facilement sur la seconde. Il est donc primordial que les femmes puissent connaître leur corps et leurs désir, et c’est une information à laquelle elle devraient avoir accès aussi facilement que les hommes.

C’est un des gros manques de la série, elle ne prend pas le temps de l’expliquer, finalement elle ne fait que mentionner l’importance de se connaître. Par exemple une planche sur l’anatomie féminine est distribuée en classe pour qu’elle soit complétée, finalement la scène ne sert qu’à montrer que Otis, fils de sexologue, connaît mieux l’anatomie féminine que Maeve… La planche ne sera finalement pas remplie complètement, et ne permettra pas aux téléspectatrices et téléspectateurs d’apprendre quoi que ce soit, à part le fait qu’elles et ils n’y connaissent rien.

Représentations stéréotypées des relations homosexuelles


Un des grands atouts de cette série Netflix est d’offrir aux téléspectatrices et téléspectateurs une diversité dans le choix de ses personnages, une diversité souvent occultée des autres supports de médias de fiction et qui offre une vision plus représentative de la société britannique actuelle.

Malheureusement le travail de visibilisation s’arrête là et les scénaristes ont fait le choix de reproduire de très gros stéréotypes dans leurs représentations.

Les rapports sexuels lesbiens sont présentés uniquement à travers le scissoring, pratique sexuelle entre deux femmes consistant à se frotter les vulves l’une contre l’autre en positionnant ses jambes à la façon de deux ciseaux. Cette pratique, beaucoup critiquée par les personnes concernées, à savoir les lesbiennes, est le fruit de visions fantasmées d’hommes sur la sexualité féminine, très représentées dans la pornographie. Elle ne représente en rien la sexualité entre femmes, et n’est pas du tout critiquée par le scénario, ni nuancée par une autre représentation.

Les rapports entre hommes ne sont guère mieux dépeints, ils sont représentés seulement dans le dernier épisode et se concrétisent après une scène de violence, stéréotype ultime homophobe sur la sexualité masculine, qui devrait se faire de façon virile, c’est-à-dire violente.

Les injonctions ne peuvent pas être synonymes de libération.

C’est un des plus de la série, cette phrase est martelée par plusieurs personnages et c’est vraiment agréable de voir enfin des personnes expliquer ce qu’est le refus et le consentement.

Mais pour que ce soit efficace, il faudrait qu’elle soit respectée dans le scénario…

Pour planter le décor du cabinet de la mère du personnage principal, sexologue de profession, un couple hétérosexuel se retrouve assis sur ses fauteuils et la femme se voit asséner une question: “alors comment trouvez vous votre nouveau pénis ?”.

Phrase très courte qui nous permet de comprendre que monsieur souhaite s’ouvrir à d’autres pratiques, ce qui serait complètement génial si cela ne mettait pas affreusement mal à l’aise sa compagne. La sexualité libre ce n’est pas forcer les gens à faire des choses qui les mettent mal à l’aise, quelque soit la raison.

De même, plus tard dans la série une femme se voit traitée de superficielle par un homme car elle n’a pas eu l’occasion d’apprendre à savoir ce qu’elle aime. Le remède est simple, “vas-y masturbe-toi, même si ça te dégoûte de prime abord”. Même si finalement cette expérience s’avère positive pour elle, l’injonction nourrit le message “essaye, tu vas aimer”, qui est un message extrêmement dangereux en réalité (utilisé par des hommes contre les lesbiennes par exemple). Ce qui aurait été intéressant d’entendre c’est “ça peut t’aider à te connaître, mais prends ton temps, et sens-toi à l’aise”, cette notion que le rythme à prendre c’est le nôtre et pas celui d’autrui ou de la société, patriarcale, est une notion libératrice. Les injonctions, aussi minimes soient-elles, sont à l’inverse, contraignantes donc emprisonnent.

La définition de la sexualité

Même si cette définition n’intervient que dans l’épisode 6 (Sur 8 épisodes ndlr.), c’est quand même la définition de la pierre angulaire de la série et il fallait qu’elle y apparaisse.


Le sujet est abordé dans une scène symbolique, celle où la mère du personnage principal lui parle pour la première fois de sexualité. L’enjeu est de taille, elle est elle-même professionnelle sur la question et doit en même temps prendre en compte le fait que son garçon n’a que 8 ans et vient d’assister à une scène traumatisante.

“Le sexe c’est quand un homme met son pénis dans le vagin d’une femme”.

C’est simple, cette définition tant attendue, est sexiste et homophobe.

Homophobe car elle limite la sexualité a une sexualité hétéro.

Sexiste car elle limite la sexualité hétéro au seul acte de la pénétration masculine.

Cette définition est décriée par les féministes depuis les années 70, et on arrive difficilement à croire que les scénaristes aient vraiment borné ainsi la sexualité quand cette série souhaite mettre à l’honneur la diversité.

D’aucuns rétorqueront que le contexte explique ce choix de définition si bornée. Et bien en réalité non, cette femme est censée être une psy professionnelle, il est attendu d’elle qu’elle sache que le moment où l’on parle de sexualité à un enfant est très important, elle connaît les enjeux de la définition, et rien ne l’empêche d’en donner une définition plus juste à ce moment là, même avec le choc émotionnel de ce qui vient de se passer. D’après le scénario, il est clair que le traumatisme de Otis est basé sur la notion de douleur que le sexe peut engendrer, pas sur la définition elle même. De plus, à aucun moment une autre définition n’est donnée. C’est donc un choix très conscient des scénaristes.

Le personnage de la mère


La mère, sexologue de profession et célibataire, était censée représenter une femme libre dans sa vie et dans sa sexualité, ce qui est une chose géniale à voir à l’écran, sauf si c’est assorti de stéréotypes discriminants.

La mère est dépeinte comme intrusive et contrôlante dans la vie de son fils (elle veut l’espionner quand il se rend à une soirée, elle va fouiller sa chambre quand il lui demande de ne pas le faire, elle écrit un livre sur ses difficultés intimes sans en parler avec lui) elle est également montrée comme quelqu’un qui n’a pas de barrière, pas de limite (comportements exhibitionnistes où son fils l’entend régulièrement avoir des rapports sexuels avec des hommes, ou voyeurs quand elle essaye de savoir si son fils se masturbe). Elle est qualifiée de mangeuse d’hommes, on la voit plusieurs fois se tromper de diagnostic et être d’ailleurs remise à sa place par des hommes, etc etc.

Tout cela ce sont des stéréotypes discriminants au sujet des femmes et des mères célibataires, indépendantes, mais qui n’auraient pas de barrières. Ces stéréotypes sont dangereux car ils alimentent un discours empirique qui invalide les femmes célibataires en tant que bonnes mères, et sous-entend qu’une femme a besoin d’un homme pour apporter de la stabilité dans sa vie.

L’utilisation de la pornographie

C’est un fait, à cause du manque d’éducation sexuelle, la première réponse aux questionnements sur la sexualité pour les jeunes c’est la pornographie. Et c’est un réel problème.

Gail Dines, sociologue anglo-américaine, spécialiste de la pornographie, explique très bien dans de nombreux ted talk et dans son livre Pornland (2011), que la pornographie court-circuite notre développement sexuel, et redéfinit nos pratiques. Grand problème quand on voit à quel point ses représentations font passer de la violence (et sous différentes formes, physique, sexuelle mais également raciste) pour de la sexualité.

Sex Education montre que les jeunes en regardent comme référence, et c’est attendu, c’est une réalité sociale actuelle. Mais, même si la réflexion de Otis ne tourne pas autour du porno, pour une série qui parle d’éducation à la sexualité, on aurait aimé la voir critiquée.

Mon but à travers cette tribune n’est pas de démonter cette série mais plutôt de la descendre du piédestal “progressiste” sur lequel elle a été érigée. Cette série a incontestablement des points positifs et véhicule un discours qui a été peu entendu jusqu’alors. Elle permet une meilleur visibilité de la diversité d’une population donnée (toute proportion gardée on est quand même dans un lycée huppé), elle explique qu’un non est un non, elle parle de plaisir féminin etc etc… Mais nous ne sommes pas encore en face d’un contenu qui ne reproduit pas de discrimination ou d’idée reçue. Il est donc dangereux de ne pas le considérer comme tel. J’aimerais rappeler qu’en termes de représentations, malheureusement rien n’est anodin, et que pour offrir un contenu libéré des injonctions ou des mécanismes de discrimination, il faut se poser les bonnes questions.

Espérons que ces mots puissent venir aux oreilles des scénaristes comme des conseils d’amélioration.

Une sexualité libérée c’est avant tout comprendre son désir, et écouter celui de l’autre.

La sexualité c’est savoir ce qui nous fait “OUI” à l’intérieur et pas “pourquoi pas” ou “si il en a envie” et surtout la sexualité c’est écouter son ou sa partenaire, sans rien imposer, tout en laissant une place à son propre désir, pour ne pas disparaître dans celui de l’autre.

Écouter et s’écouter.

Finalement, c’est arriver à s’affranchir de toutes les représentations ou les injonctions qu’on nous impose depuis le plus jeune âge et qui transforment ces moments de partage intime, de plaisir, de jeux et de découverte, en des rapports conditionnés, distancés, automatiques et dans la reproduction des schémas de domination.

 
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