La violence est-elle réellement du côté des manifestants ? - 15/05/2022
Manifeste pour la pluralité des pratiques en manifestation.

Clémence Rio et François Perdriau (ORSINOS)

Les dernières manifestations et marches pour le climat ont réuni des milliers de personnes. Mais pour quels résultats ?
La marche pour le climat (un des plus grands mouvements mondial des cinq dernières années) avait pour mots d’ordre : “aucune violence” ; “pacifisme” et “marche tranquille”. À contrario, le mouvement des Gilets Jaunes ou encore la ZAD de Notre Dame des Landes et leurs modes d’actions plus musclés ont réussi à faire plier le gouvernement.
Par sa radicalité, le mouvement Gilets Jaunes a fait reculer l’État sur certaines questions sociales, a fait parler de ses revendications à l’international et a permis de requestionner l’entièreté des partis politiques sur les problématiques des foyers actuels. La ZAD de Notre Dame des Landes s’est vue quant à elle victorieuse face à l’abandon du projet de construction de l’aéroport.
Peter Gelderloos
“Il devrait être clair que si le projet d’aéroport est désormais abandonné, c’est en grande partie grâce à celles et ceux qui ont eu le courage d’affronter, parfois “violemment”, les forces étatiques”.
“l’abandon de ce projet […] qui constitue une victoire pour le mouvement écologiste, découle donc en partie du recours à ce que certains qualifient, à tort ou à raison, de “violences””.
Les marches pour le climat quant à elles se multiplient sans aucun effet. La plupart des mouvements sociaux et écologistes des dernières décennies échouent lamentablement, ne serait-ce qu’à freiner la catastrophe écologique et sociale en cours. Ceux-ci tiennent à respecter le principe de “non-violence” considéré par toutes et tous ou presque comme le seul moyen de lutte acceptable. Problème, face à ces mouvements pacifistes, aucune réaction des États. Plus encore, dès qu’une forme de violence est exercée durant les manifestations, celles-ci sont directement pointées par les médias et le gouvernement, animant tous deux un déconcertant mélange de peur et de dangerosité.
Cet article n’est pas un éloge de la violence en manifestation et/ou toutes autres formes de lutte. Il a pour but de repenser les protestations pacifiques considérées comme la seule forme acceptable de lutte. Toutes les protestations écologistes ne sont pas pacifistes. Nombreuses ont choisi la pluralité des tactiques de luttes et se sont révélées être des succès comme la ZAD de Notre Dame des Landes. Pourquoi donc stigmatiser la violence dans les luttes sociales ?
La violence est multiple
Il est difficile d’établir une définition consensuelle de ce qu’est la violence. Mais les médias et les institutions ont tendance à n’intégrer qu’une seule forme dans leur définition : celle des manifestants. La violence de ceux-ci ne vise cependant que les institutions, le matériel et les lieux représentant le système capitaliste et sa perversité (agence d’intérim, agences immobilières, assurances, banques, etc). Les “casseurs” comme iels sont surnommé.e.s ciblent ainsi la dégradation des lieux symbolisant les inégalités et la violence étatique.
Les médias ne pointent à aucun moment la violence de l’État et des institutions. Cette violence n’est pas “spectaculaire”, pas comme celles des manifestants. La violence de l’État est pourtant celle qui vote les lois dégradant les droits des personnes pauvres et des minorités. C’est celle stigmatisant les pauvres que l’on accuse de “profiter du système” et que l’on traite de “fainéant”. De ce système découlent 9 millions de personnes en situation de pauvreté en France. Il aura par ailleurs produit un million de pauvres en plus en l’espace de dix années. De ce même système découlent 300 000 personnes sans domicile fixe en France en 2020, soit deux fois plus qu’en 2012 et trois fois plus qu’en 2001.
Le dernier projet macroniste envisage de faire travailler les personnes éligibles au RSA (et survivant à peine avec 500€ par mois). La violence de l’État et du système capitaliste, c’est aussi d’imposer la charge de travail à 35h par semaine dans des conditions de travail toxiques, qui détruisent les corps, les usent tout en ne cessant de repousser l’âge de départ à la retraite. La violence est aussi celle des policiers et gendarmes envoyés par le pouvoir pour protéger les institutions plutôt que protéger l’humain, sans oublier de détruire les corps qui protestent.
La violence du système capitaliste n’est pas discutable. Une seule forme en est pourtant pointée du doigt. Il n’y a que de violentes vitrines cassées, comme si la violence de notre système était acceptable, légitime et totalement normale. La violence en manifestations n’est qu’une réponse systémique au déchaînement permanent de l’État.
Peter Gelderloos
“ l’idée selon laquelle nos sociétés modernes sont moins violentes que celles qui les ont précédées est au mieux une vue de l’esprit, au pire un mensonge abject”.
“L’État est le système le plus meurtrier de l’Histoire humaine, avec ses guerres et ses génocides, sans parler de la militarisation de sa police, de l’emprisonnement de masse, du blocage des frontières qui provoque par milliers la mort de personnes migrantes et de ses choix entraînant la destruction de la planète”.
L’Histoire met en avant les luttes non-violentes
Par le biais de Martin Luther King ou encore Gandhi et les mouvements qu’ils ont fait émerger, l’Histoire porte l’illusion que les luttes non-violentes sont les plus pertinentes. Pourtant, si le mouvement pour la paix de Martin Luther King a permis de grandes avancées contre le racisme pour les Afro-américains, c’est en partie dû aux Black Panther et à leurs différentes actions. Pareillement pour Gandhi et l’indépendance de L’Inde.
Cette relecture de l’histoire exclut les branches radicales des luttes pour donner raison aux mouvements non-violents. Dans l’Histoire, c’est bien la pluralité des tactiques de lutte, le soutien et la cohésion de groupe qui ont permis d’obtenir des droits et des changements structurels dans nos sociétés. Il n’y a pas de hiérarchie dans les différentes manières de protester. Par ailleurs, au cours de l’Histoire, les changements structurels ont eu tendance à survenir seulement lors de protestations non institutionnalisées sous forme d’émeutes non-organisées, de manifestations indisciplinées, de vols, de casses ou d’incendies menaçant directement les institutions défiées.
James C. Scott, Petit éloge de l’anarchisme, Lux, 2013
“les grands acquis émancipateurs et porteurs de liberté pour l’humanité ne sont pas le fruit de procédures institutionnelles ordonnées, mais bien d’actions désordonnées, imprévues et spontanées qui ont fissuré l’ordre social de bas en haut.”
La non-violence protège l’État, car elle n’est que symbolique et superficielle. Les changements profonds se feront par un mix de lutte plus radicale et plus pacifique.