La trépidante histoire de Julia Hill, l'ex-mannequin qui a vécu deux ans dans un arbre - 12/08/2020

Dans « De Sève et de Sang », paru aux Éditions Libre, Julia Hill relate son combat contre l’entreprise écocidaire Pacific Lumber et sa vie pendant deux ans à 55 mètres du sol.
Par Margaux Vanwetswinkel
Rien ne prédestinait cette jeune américaine issue d’une famille pieuse et très pauvre, devenue mannequin à l’adolescence pour arrondir ses fins de mois, à être le visage de la lutte contre la déforestation à la fin des années 90. Pourtant, du haut de Luna, un séquoia géant, elle est parvenue à mettre en lumière le drame qui se jouait à ses pieds : la gestion désastreuse d’une fôret millénaire, des coupes à blanc provoquant des glissements de terrain mortels pour les habitants aux alentours, la mise en péril d’espèces menacées… Dans De Sève et de Sang, publié aux Éditions Libre (2020), Julia Butterfly Hill relate son combat contre l’entreprise écocidaire Pacific Lumber et sa vie pendant deux ans à 55 mètres du sol. Un récit où règnent en maître l’amour et le courage.
Donner un sens à sa vie
Il aura fallu un grave accident pour permettre à Julia Hill, née en 1974 dans le Missouri,de devenir celle que l’on connaît aujourd’hui. Percutée par un 4×4 à 22 ans, elle met deux ans à s’en remettre et décide alors de donner un sens à sa vie en entamant une quête spirituelle. L’argent de l’assurance en poche, la jeune femme veut faire le tour du monde. Elle n’ira pourtant pas très loin. Arrivée sur la Lost Coast en Californie, elle est époustouflée par la beauté d’une forêt de séquoias, qui l’attire irrésistiblement. Son périple s’arrête net quand elle apprend que l’entreprise Pacific Lumber a prévu d’abattre l’entièreté des arbres millénaires de cette parcelle, alors qu’il n’en subsiste déjà plus que 3%, « le reste ayant servi pour le bois d’œuvre ou la fabrication de meubles de jardin », relate-t-elle. C’est une révélation, il faut qu’elle se batte pour la préservation de ce lieu hors du temps.
Le b.a.-ba du tree-sitting
Mais par où commencer ? Les groupes écologistes présents sur place sont tous défaitistes et ne l’acceptent pas en leur sein, elle n’a jamais milité de sa vie et ignore tout de la protection de l’environnement. La seule chose qu’elle a, c’est une foi indéfectible en sa vocation. En effet, cette fille de pasteur sait qu’elle peut compter sur la prière et l’introspection pour trouver les réponses à ses questions. Alors, quand l’opportunité de prendre le relais d’un groupe installé au sommet d’un séquoia destiné à finir en chair à paté se présente, elle prie, écoute son instinct et fonce. Elle découvre alors Luna, 60 mètres de haut, perché au sommet d’une falaise près de la crète d’une montagne escarpée. À 55 mètres du sol, une plateforme de trois mètres sur deux accueille le strict nécessaire pour les bénévoles qui s’y pressent nuit et jour pour empêcher que l’entreprise Pacific Lumber abatte l’arbre.
« Le tree-sitting est l’ultime recours. Quand un arbre est occupé pour être protégé, c’est que la société a échoué à tous les niveaux : les consommateurs ont échoué, les entreprises ont échoué, le gouvernement a échoué. En vain, les amis de la forêt saisissent les tribunaux et les militants tentent de sensibiliser les consommateurs. Les entreprises négligent leurs responsabilités en tant que propriétaires fonciers ; quant au gouvernement, il ne fait qu’appliquer ses propres lois. Lorsque tout échoue, la seule solution qui reste est d’occuper les arbres », explique dans son livre celle qui s’apprête alors à grimper dans ce qui deviendra sa nouvelle maison.
Julia et Luna VS le monde
Le 10 décembre 1997, Julia Hill pose ses pénates dans Luna, sans savoir qu’elle touchera à nouveau la terre ferme 738 jours plus tard. Là-haut, la jeune femme s’acclimate à une vie difficile, dans un espace exigu et inhospitalier, qu’elle partage avec d’autres au début, avant de s’y retrouver toute seule. Dans sa plateforme haut perchée, son quotidien est rythmé par les incessants va-et-vient des hélicoptères de la Pacific Lumber qui veulent la déloger, les tentatives d’intimidation des employés de la firme, les incendies et autres épandages de napalm qui l’empoisonnent, sans compter le froid mordant qui pénètre dans tous les recoins de sa chair. Chaque jour est une épreuve, d’autant plus qu’arrive la tempête El Niño qui manque de la tuer. Pourtant, Julia Hill ne faiblit pas et trouve refuge dans la prière pour se recentrer sur son objectif : sauver Luna et la forêt de séquoias des griffes de l’entreprise. Pour ce faire, elle ne quitte à aucun moment son poste et lit tout ce qu’elle trouve sur la protection de l’environnement, la déforestation, l’exploitation des forêts.
De l'espoir et de la colère
Petit à petit, les médias s’intéressent à ce brin de femme à la volonté d’acier. Les interviews pleuvent et des photographes viennent l’immortaliser dans son nid de fortune. Le groupe de musique Grateful Dead vient jouer à ses pieds, Woody Harrelson passe une nuit avec elle dans son abri et Joan Baez monte lui chanter des chansons. Elle incarne l’espoir et inspire des individus dans le monde entier. Elle représente David contre Goliath. Malgré tout, les négociations avec la Pacific Lumber, connue pour sa malhonnêteté, avancent difficilement. Julia Hill refuse de descendre tant que ses termes ne seront pas respectés et la situation se corse de jour en jour. À bout, elle ne sait plus vers quels saints se tourner. Arrive alors un point de non-retour : un de ses camarades est tué par un bûcheron, qui abat un arbre qui vient s’écraser sur le militant venu lui expliquer qu’il endommageait une zone protégée. Cet événement tragique la terrasse mais lui permet de trouver la force de continuer son combat. Au terme de plusieurs mois de négociation, la Pacific Lumber et Julia Hill tombent enfin d’accord : Luna et une zone tampon autour de l’arbre seront protégés, mais la militante ne peut plus jamais pénétrer illégalement dans une propriété appartenant à l’entreprise et encore moins grimper dans un de ses arbres.
La victoire entaillée
Le 18 décembre 1999, Julia Hill met enfin un pied à terre. Elle n’est plus la même. C’est une survivante, qui a affronté les éléments, la cupidité des grands patrons, l’agressivité des ignorants et qui a malgré tout conservé une certaine force mentale pour faire porter sa voix dans le monde entier. En novembre 2001, des vandales tentent de couper Luna à la tronçonneuse et l’entaillent fortement. La nouvelle dévaste la militante, mais l’arbre survit et encore aujourd’hui, il se dresse fièrement au sommet de la falaise. Son ancienne locataire est maintenant âgée de 46 ans et parcourt le monde en donnant des conférences pour éveiller les consciences sur l’écologie. Certes, elle a désormais les pieds sur terre mais son esprit lui, rêve toujours d’un monde où l’homme et la nature cohabiteraient enfin en paix.